L'annonce de la remise gracieuse des peines au profit des détenus pour atteinte à la sûreté de l'Etat avait fait naître en nous l'espoir de voir enfin s'instaurer un climat de détente, de concorde nationale et de paix civile. Le même espoir nous avait du reste gagné, quand la proclamation fut faite, dès le lendemain du 12 décembre 1984, de restaurer un Etat de Droit et de mettre en œuvre un processus démocratique réel.
Mais ces espoirs ont été trahis par la mise en pratique d'une politique de répression, avec la systématisation de la torture, dont nombre de nos citoyens furent, sans distinction, les victimes. Nos espoirs sont aussi et surtout trahis par de multiples témoignages révélant, dans toute son horreur, l'ampleur de la répression dont furent frappés civils et militaires négro-africains, durant les derniers mois de 1990. Les traitements inhumains et dégradants infligés à la plupart d'entre eux, plusieurs centaines d'exécutions extrajudiciaires, les inqualifiables atrocités traduites en particulier par des mutilations, et les nombreuses disparitions, tout cela a suscité en nous stupeur et consternation.
De telles atteintes aux droits de l'homme et du citoyen sont de nature à conforter un climat de suspicion, de défiance et de tension permanente préjudiciable à la cohésion et à la stabilité de notre pays. Elles sont aussi de nature à porter un rude coup aux nobles valeurs de l'Islam, par excellence, religion de tolérance, de fraternité et de respect de l'être humain. C'est pour ces raisons qu'elles constituent un précédent dangereux et unique dans l'Histoire de notre pays.
La gravité de la situation trouble la conscience de chacun et met les Mauritaniens attachés à l'unité et à l'indépendance de leur Patrie devant leurs responsabilités.
Monsieur le Président,
Ces douloureux et regrettables événements nous semblent être la suite logique d'une politique de répression qui, de par son aveuglement, ne fait aucune distinction entre le coupable et l'innocent. Ils sont encore la conséquence de l'absence de libertés démocratiques.
C'est conscients des fâcheuses retombées de cette situation et mus par les seuls intérêts de la Nation que nous, signataires de la présente lettre, tenons à affirmer notre réprobation des actes terrifiants décrits plus haut et en appelons à vous pour que justice soit faite et que des garanties de sécurité absolue soient assurées à tous les citoyens.
C'est pour ces motifs que nous nous sentons en devoir de vous demander :
- La constitution d'une commission d'enquête indépendante pour faire toute la lumière sur les crimes et forfaits qui ont été commis, afin d'en déterminer les responsabilités à quelque niveau qu'elles se situent et de prendre les sanctions appropriées ;
- La prise de mesures urgentes pour créer toutes les conditions garantissant l'avènement véritable d'un Etat de Droit. Pour ce faire, il nous semble primordial d'organiser un débat libre et large devant conduire à la mise en place d'institutions démocratiques. C'est à notre avis le moyen le plus sûr pour conjurer les périls internes et externes qui nous guettent.
La liberté d'opinion, d'expression et d'association, ainsi visée, représente le meilleur rempart contre toutes les atteintes à l'unité nationale et contre la délectation, si funeste, constatée dans le crime.
En tout état de cause, nous nous efforcerons, pour ce qui nous concerne, d'œuvrer, aux côtés de toutes les bonnes volontés, à la réhabilitation et à la consolidation de l'Unité de notre Peuple ainsi qu'à la pérennité d'une Mauritanie fidèle à sa vocation millénaire de Terre de rencontre des Hommes, de Symbiose de civilisations et de cultures diverses mais mutuellement enrichissantes, de point de jonction entre deux MONDES que tout rapproche l'un à l'autre.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de nos sentiments patriotiques.
Nouakchott, le 10 avril 1991.
Signataires
1. Mohamed Aly Cherif, ancien secrétaire général de la Présidence de la République
2. Ghali Ould Abdel Hamid, Président le Ligue Mauritanienne des Droits de l’Homme
3. Messaoud Ould Boulkheir, Ancien ministre ;
4. Daffa Bakary ; Ancien ministre ;
5. Me Diabira Maroufa, Ancien ministre
6. Abdel Weddoud Ould Cheikh, Professeur d’Université ;
7. Me Diallo Yacoub, Ancien Bâtonnier ;
8. Sid’Ahmed Ould Habott, Président de l’Ordre des Experts Comptables, maire de F’Deirik ;
9. Dr. Dia Alhousseinou, Psychiatre, ancien président de l’Ordre des Médecins ;
10. Dr. Yéro Gandéga, Pédiatre ;
11. Me Mohameden Ould Ichiddou, Avocat ;
12. Me Ahmed Ould Cheikh Sidiya, Avocat ;
13. Diagana Ousmane Moussa, Professeur d’Université ;
14. Mohamed Cissé, Inspecteur de l’Enseignement à la retraite ;
15. Sy Mamadou, Ancien Gouverneur,
16. Boubacar Messaoud, Architecte ;
17. Cheikh Saad Bouh Kamara, Professeur d’Université ;
18. N’Gaidé Ibrahima, Ingénieur ;
19. Me Brahim Ould Ebetty, Avocat ;
20. Me Abdallahi Ould Bah, Avocat ;
21. Me Mine Ould Abdoullah, Avocat ;
22. Me Ly Saidou, Avocat ;
23. Béchir Ould Hacen, Cadre de société ;
24. Traoré Ladji, Economiste ;
25. Khallihneh Ould Mohamed Mokhtar, Journaliste ;
26. Mohamed Salem Ould Merzoug, Professeur d’Université ;
27. Abderrahmane Ould Yessa, Cadre ;
28. Mohamed Mahmoud Ould Moud, Inspecteur d’Enseignement ;
29. Me Diabira Boubacar, Avocat ;
30. Dr Mohamdi Ould Ahmed Khalifa, Medecin ;
31. Dr Sy Zein El Abidine, Medecin ;
32. Dr Mohamed Aly Ould Bouna Mokhtar, Medecin ;
33. Me Ishagh Ould Ahmed Miské, Avocat ;
34. Mohamed Ainina Ould Ahmel Hadi, Instituteur ;
35. Me Hassen Ould El Mokhtar, Avocat ;
36. Boubacar Ould Mohamed, Professeur ;
37. Me Ba Mohamed Bechir, Avocat ;
38. Me Abdallahi Ould Moussa, Avocat ;
39. Correra Issagha, Professeur ;
40. Idoumou Ould Cheikh, Instituteur ;
41. Me Diabira Boubou, Avocat ;
42. Abdoul Aziz Niang, Ingénieur statisticien ;
43. Moustapha Ould Barar, Professeur ;
44. Sy Mamoudou, Journaliste ;
45. Ahmed Salem Ould Mokhtar, Traducteur ;
46. Wane Birane, Professeur Université ;
47. Assane Guaye, Professeur ;
48. Kane Moustapha, Ingénieur ;
49. Ahmed Salem Ould Bouna Mokhtar, Armateur ;
50. Mohamdy Ould Sidaty, Professeur
par : Birane Hamath Wane
par : Birane Hamath Wane